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Christian Bulleux

Christian Bulleux Soldat du Feu

Dernière mise à jour : 25 oct. 2021

Lorsque l’on demande à Christian Bulleux ses premiers souvenirs au Régiment des Sapeurs Pompiers de Paris (RSPP), il sourit et décrit sa “trouille “ lorsqu'il se retrouve le 9 Mai 1962 dans la cour de l’Etat Major du Régiment, caserne Champerret.

Difficile pour lui de définir encore aujourd’hui les sentiments étranges qui l’envahissent et qui, apparemment, ne l’on pas quitté : Les camions rouges, les casques argent, la tenue de feu, les odeurs de l’endroit qui suscitent la crainte, puis l’admiration, l’envie du profane pour ce qui semble inaccessible un peu comme les scènes et acteurs d’un film dont on restera allogène. Bien sûr, il a déjà vu des pompiers en action. Mais, ici, tout est différent. Les rituels militarisés aux sauvetages des personnes, aux combats contre la séculaire hostilité du risque qui harcelle l’humain en une bélligérence sans fin, tous ces éléments, palpables d’emblée par la jeune recrue, confèrent à ce corps d’élite un aspect unique au monde et une fascination justifiée d’autrui.

Les sous officiers instructeurs s'expriment:

"Nous sommes des Sapeurs Pompiers de Paris et bien que nous soyons militaires et  armés, ce qui nous distingue des autres Sapeurs Pompiers de France , nous sommes partagés entre le devoir de combattant au service de la Nation et de sauveteur au service de la population parisienne, nous sommes ici avant tout  pour sauver, c'est notre vocation,c'est notre mission, expliquent les instructeurs aux recrues médusées, figées au garde a vous. Le Sapeur Pompier de Paris se place volontairement dans des situations critiques,extrêmes: Il doit prendre en charge les autres, mais également s'assumer, pour lui et pour les autres, qui du statut de citoyens ordinaires passent a celui de citoyens victimes en détresse. Le choix est rapide, entre la victime et vous, si un doit mourir, c'est vous en sauvant l'autre  martelle ce "Batman "des temps modernes

En somme,  "la Guerre du Feu " version RSPP

Des exercices se déroulent sur la tour d’instruction. Impressionnant !

Les nouvelles recrues (les piafs) sont impeccablement alignées dans leurs vêtements de treillis bleu, le calot bleu au liseret rouge (le bonnet de police) sur la tête, les cheveux coupés ras (la boule à zéro). Les ordres des caporaux instructeurs claquent. On ne marche pas, on court. On se met au garde à vous.  On salut. Pas de gymnastique. Direction...la planche...Ah! la planche...L'inévitable obstacle à surmonter pour devenir Sapeur Pompier de Paris.

Avec ses nouveaux compagnons Christian se voit affecter au centre d’instruction de Bondy, 5 mois de “prise en main” avant d’intégrer le service incendie de la 24 ème Compagnie. Pour trois années d’aventure et de confrontation à la détresse et misère humaine d’une société parisienne en mutation, 17 ans après la seconde guerre mondiale.

Le premier décalage. Bondy, septembre 1962. Départ pour feu de chantier à bord du FP (fourgon pompe) qui suit de près le PS (premier secours). La montée d’adrénaline. Le coeur qui bat a se rompre. La gorge sèche. L’excitation.

Le PS qui file à toute allure cornes de feu hurlantes, avec cette magnabilité bien connue des conducteurs  au volant de ce superbe engin.Les sapeurs debout à l'arrière du PS qui ajustent leurs blousons de peau ou le foulard de feu...quel panache!.  Les voitures qui s´écartent, qui semblent paralysées, le FP qui hurle, le calme des anciens qui regardent, amusés mais rassurants et compréhensifs, les piafs enfiévrés. La "pissette" du PS suffira à éteindre le méchant, un simple tas d’ordures enflammé par quelques gamins cachés et curieux de voir venir les camions rouges...Dommage, on rêvait l’établissement de grosses lances...qui n’en rêve pas ?

Son expérience au


Régiment, bien qu’il ne”rempilera pas”, ne le quittera jamais.

Mieux, elle se présentera souvent comme une référence, dans cette profession difficile de grand voyageur – photographe autour du monde qui l’attend et qu’il accomplira jusqu’à aujourd’hui, car les occasions multiples de confrontations aux risques divers sont quotidiennes. Pendant son premier tour du monde, il séjournera dans bien des centres de secours de Pompiers de la planète: Ankara, Alep,Téhéran, Kaboul, Calcutta, Singapour, Ouarzazate, Dakar, Bamako, Belgrade, Bogota, Caracas, Pointe à Pitre, Lima, Quito, Guayaquil...

Un jour, Christian Bulleux sera lui même le bénéficiaire de cet esprit de dévouement et d’abnégation qui caractérise les soldats du feu partout dans le monde. L’histoire se passe en Equateur, pays où il résidait...Il raconte:

Mon fils encore enfant avait deux bergers allemands, Khan et Rajah, deux frères de 3 ans chacun. Un jour, peu avant Noël, la porte du jardin était restée entrouverte, Khan, le plus turbulent des deux, a pris le large. Rajah, lui est resté dans le jardin, tournant en rond inquiet et peut-être envieux de l’audace de son frère...C’est son attitude qui a attiré mon attention, n’ayant pas aperçu tout de suite la porte entrebaillée. Dans cette region, rôdent des chiens sauvages et parfois enragés présentant un danger réel pour un animal domestique en liberté. Je craignais une attaque, un combat. Il était 17 heures environ. Le crépuscule s’annonçait. Sortant sur le chemin, une indienne qui vivait non loin de chez moi me dit “ Séñor, j ’ai vu votre chien sortir et se diriger là-bas et pointant son doigt elle m’indique un buisson dans une coudée du chemin. Je compris tout de suite. La coudée du chemin longeait une "quebrada", (ravin) très profonde, un filet d’eau coulait en bas. Je me dirigeais vers le buisson qui dissimulait un à pic vertigineux. La chute a du  être terrible !

J’appelais “Khan ?  Khan ? “. Silence. Je m’obstinais, craignant le pire, de toute façon, il va falloir descendre, ne serait-ce que pour chercher le corps du pauvre animal. Je n’osais affronter mon fils, qui pleurait en silence la perte de son ami.” Khan ? Khan ? “et puis soudain, cet aboiement, presque de joie, venu des entrailles de la terre. Je n’y croyais pas. Que faire, quoi faire? je n’ai pas le matériel pour descendre une centaine de mètres d’à pic. Le temps presse...pas question qu’il passe la nuit en bas...Les pompiers. Mais oui...les pompiers...pourquoi pas...mais où sont-ils ? les pompiers dans ce trou perdu ? Et d’abord, y a t-il des pompiers? les voisins, sortis en nombre de leurs chaumières, me disent  que si, mais à San Golqui...  30 kms ...l’indienne me dit qu’elle connaît...elle se propose de venir avec moi. Comme un fou, je sors mon véhicule, recommandant à Meg, ma femme et à mon fils de rester là, sur place, pour maintenir la”conversation” avec Khan.


A San Golqui, le centre de secours est déserté. Un seul homme de garde. Quelle désillusion!...je lui demande où sont ses collègues. Ils sont de garde avec le fourgon dans une fête populaire. Je me doute qu’ils ne se déplaceront pas pour un pauvre chien. Il y en a "à la pelle" ici qui errent dans les rues...ils me diront “tu n’as qu’à te servir”

Je prends la première idée qui me passe par la tête. “Mon fils a fait une chute à Téna, dans une québrada..probablement une centaine de mètres...”l’homme, appelle immédiatement ses collègues par radio...message bref...j’entends la voix dans la radio. “, on arrive immédiatement. Surprise, le fourgon pompe est convenablement armé et entretenu, quatre hommes forment l’équipage, un chef de détachement, 3 sapeurs dont 2 jeunes d’une quinzaine d’années. J’explique brièvement la situation, remplaçant volontairement Khan par Tankrède, mon fils. Pendant ce court instant, les sapeurs sortent de la remise cordages, descendeurs, mousquetons, brancard, etc... Le chef me dit “on vous suit " cornes de feu activées, nous couvrons la distance en moitié moins de temps qu’à l’aller.

Arrivés sur place, il y a foule...pensez...le chien du gringo dans la "quebrada", et il semble vivant...Guillermo, le chef, aperçoit mon fils en larmes, étonné, il me demande,” vous avez deux fils ? “un peu gauche, je lui avoue la vérité. Et pourquoi le mensonge...Il me jette un regard noir, ne dit mot, s’équipe du harnais, deux autres pompiers s’équipent dans la foulée, les cordages amarés au pare-shoc du fourgon, les feux de travail allumés. Il est 20 heures. La nuit,  déjà avancée  dans cette partie du milieu du monde  est particulièrement étoilée.

Un sauveteur, le plus jeune, descend le premier, avec une machette, une trousse de secours et un harnais supplémentaire. C’est lui qui rejoint Khan et effectue les premiers examens cliniques. RAS...Le chien lui lèchera le visage, nous confiera-t-il  plus tard. Il ajoute que Khan n’est pas blessé car sa chute fut retenue par les buissons et épineux qui couvrent la paroie. C’est un miracle. La mission de sauvetage durera 4 heures environ...vers minuit, je vois le museau de Khan poindre sur le bord de la "quebrada" , l’animal est parfaitement sanglé dans le harnais de secours, le ventre et les parties génitales protégés par un tablier de cuir, pour ne pas être déchirés par les épineux lors de la remontée. Le chien jape de joie. Applaudissements alentours. Les sapeurs se déséquipent. Un peu maladroitement et connaissant le maigre salaires qui leur sont alloués, je demande au chef ce que je lui dois..autre regard noir..il me dit calmement “Rien,  Vous ne nous devez rien. C’est notre devoir. D’ailleurs, ce n’était pas la peine de nous mentir... Si vous aviez dit que votre chien était en danger, nous aurions agi de la même façon que pour un être humain .

Oui, la devise < Sauver ou Périr > à également un sens ici, à douze mille kilomètres de Paris.


Dépité par tant de maladresse de ma part, je cours chez moi, prends une somme d’argent en USD relativement conséquente que j’avais pour les fêtes de Noël et remet le tout au plus jeune des sapeurs. “ Tiens, tu partageras avec tes compagnons, Feliz Navidad. “ Sans un mot, après avoir salué tout le monde, ils montent dans leur véhicule, avec ce regard que seuls les pompiers du monde possèdent, celui de la mission accomplie avec succès, au péril de leur vie pour en sauver une autre. Le chef se met au volant et avant qu’il ne referme la portière, je lui crie,” Guillermo, je suis un ancien des Pompiers de Paris", il marque un temps d’arrêt, comme surpris, descend du fourgon, se dirige vers moi et me donne un chaleureux abraso ( accolade). Et me dit “amigo mio” .  Pensif et reconnaissant, je regarde le camion rouge s’éloigner dans la nuit équatoriale de ce bout du monde. L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais que sont devenus Khan et Rajah ? Christian Bulleux poursuit:

A la fin du siècle dernier, et début 2000 l’Equateur entre dans une terrible crise politique et économique. Etat d’urgence, révoltes populaires, coups d’état qui se succèdent, Les écoles ne fonctionnent plus. Notre fils est au collège. Nous décidons de regagner momentanément l’Andalousie, pour lui éviter une scolarité en pointillés. Les aéroports sont pris d’assaut. Des millions de personnes fuient le pays. On nous interdit l’embarquement de nos deux amis. Nous les laissons à une amie, avec promesse de revenir très vite conscients de ce que représentent deux monstres de 40 kgs chacun à nourrir. 5 mois passent. Ma femme décide de retourner en Equateur, seule, pour récuperer Khan et Rajah. Elle s’envole avec deux grandes cages. Il faudra l’intervention de l’un de nos amis, colonel des forces spéciales équatoriennes, pour qu’elle puisse embarquer avec sa précieuse cargaison.  Au retour, c’est la fête.

Mais tout a une fin. 

En août 2007, vers 6 heures du matin, Rajah entre dans la chambre  et me tire du lit en prenant mon bras dans sa gueule. Etonné de ne pas voir Khan l’accompagner, l’estomac noué, je le suis. Il court devant moi jusqu’au jardin, et s’arrête devant le corps allongé de son frère. Un filet de sang coule de sa gueule, le museau est encore chaud. La mort de Khan est récente. Il était atteint d’un cancer de la prostate  et soigné en conséquence. Nous sommes attérrés. Nous quitter, comme ça ? Hier encore, je jouais avec lui...voulait-il nous cacher la mort qui l’envahissait peu à peu ? le vétérinaire confirme la mort par cancer, accompagnée d ‘une pneumonie. Mais ce n’est pas terminé. L’attitude de Rajah change radicalement. Tout d’abord, il s’assied et me regarde fixement. Il ne répond pas à mes caresses, dédaigne le jeu. Ensuite, Il refuse de s’alimenter, de s’hydrater. Au moyen d’une seringue je lui injecte dans la gueule de l’eau sucrée . En vain. Me rend-t-il responsable de la mort de son frère ? A-t-il en mémoire le sauvetage du 20 décembre 1997 et pourquoi n’avons nous rien fait cette fois ci ? Comment savoir ? Le calvaire que s’impose Rajah, qui semble ne pouvoir survivre à la mort de son frère, durera 3 semaines. Le vétérinaire le place sous perfusion. Rien à faire. Nous l’accompagnerons tous les trois dans cette dure épreuve, passant nos nuits avec lui sur le tapis du salon. Rajah est maintenant paralysé. Il nous regarde intensément, comme pour nous dire “Enfin, je vais retrouver mon frère, on va s’amuser de nouveau dans son monde à lui, votre monde ne m’interesse plus. Vous vous débrouillerez bien sans moi, alors que moi je ne peux vivre sans lui “ Le vétérinaire me conseil une injection létale, afin d’abréger ses souffrances. Ce fut l’un des pires moments de notre vie.

Quelle étrange fratrie que celle de Khan et Rajah. Khan était le meneur, le farceur qui faisait semblant d’avoir peur lorsque Rajah lui montrait les dents. Il se réfugiait alors sur ma tête lorsque j’étais assis ou entre mes jambes lorsque j’étais debout. Rajah se délectait de ces instants complices. En échange ,Rajah était le gardien et protecteur de Khan. C’est lui qui grognait lorsque un inconnu s’approchait de Khan endormi. Nous l’avons enterré aux côtés de Khan, à l’ombre d’un eucalyptus, dans le cimetière que possède notre vétérinaire. Nous leur rendons visite chaque année, le 20 décembre. 

Oui, les années, les décennies sont passées...très vite..trop vite. Tout récemment, Christian Bulleux décide de rendre une visite de courtoisie aux CS (centres de secours)qui l’ont accueilli il y a bien longtemps. Le PC de la 24 ème Compagnie, Montreuil. Tout a changé, tout est différent. L’achitecture du nouveau bâtiment qui abrite les services de la Cie sont massifs. Rien à voir avec le PC de Cie qu’il a connu, qui s’apparentait plus à un camp de brousse. Le portique et la tour d’entraînement ont disparu. L’accueil a été amical. Le Caporal Chef B... lui fait visiter les locaux ainsi que le matériel d’incendie. Christian repartira avec des autos collants et tee-chirts aux couleurs de la Brigade.

Visite au CS de Nogent. Accueil tout autant chaleureux. Là encore le CS n’est plus au même emplacement. Il n’appartient plus à la 24ème Cie, mais à la 15 ème. Photos de groupe devant les engins, échelle partiellement déployée. On demande à Christian qu’elles ont été ses activités pendant sa vie...Quelle histoire ! Mais se sera pour une autre fois.


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